Veil of OrpheuS
Veil of OrpheuS
(une généalogie de lignes)
Une œuvre est chez moi toujours le fruit d’un tissage qui procède par l’association de différentes sources et d’études. La partition une fois achevée vaut pour elle-même mais de mon côté elle atteste d’un travail en amont et pendant son écriture selon un mode de composition dont la musique est l’élément porteur qui serait comme une sorte de transcription à la fois des affects mais aussi des idées. Son parcourt narratif qui en incarne la forme relève de ce que je m’autorise d’appeler sa tramaturgie, néologisme né d’un principe dramaturgique dans le jeu des trames. Lorsque Nicolas Bardey m’a invité à le rejoindre de manière si généreuse au côté de sa musique dans le cadre d’un concert carte blanche que lui offre l’ensemble L’imaginaire, je me trouvais dans l’étude de la figure d’Orphée. Dans son étude certes mais à l’arrêt dans un questionnement inquiet de notre situation, celle d’une crise profonde qui va s’accentuant. Il faut parfois impérativement reculer pour tenter de mieux ajuster sa vision. Si la lyre était mise de côté, je traquais l’influence d’Orphée à la fois dans la musique de Sir Harrison Birtwistle qui lui concède une place centrale dans son œuvre mais aussi dans la lecture que je fais depuis de nombreuses années de l’œuvre de Cy Twombly. Il se trouve qu’explorant des sources, je suis tombé sur la première trace que ces deux grands artistes de notre époque ont articulé dans leur travail en 1968, il y a donc cinquante ans. Lorsque l’idée a germé, nous souhaitions inclure par conséquent la pièce Linoi pour clarinette alto et piano de Birtwistle qu’Adam Starkie souhaitait qui plus est jouer depuis longtemps. Le titre renvoie à des lamentations adressées à Linus. Ce personnage mythologique dont le nom renvoie aussi à l’esprit qui habiterait le chanvre, la plante du lin, aurait inventé le rythme et la mélodie en plus d’avoir pour frère d’Orphée. Hélas cette pièce nécessite une clarinette alto qu’il est rare de trouver de nos jours. La clarinette en la ne descendant pas aussi bas que celle que Mozart connut. Devant la difficulté d’obtenir cet instrument Adam, Nicolas et moi tenions à la présence de la musique du compositeur anglais. Par conséquent nous avons choisi Verses de 1965, une œuvre pleine de suspensions interrogatives surtout dans sa terminaison avec ces deux sol lancés dans le haut. J’ignore jusqu’à ce jour si Birtwistle sait que la même année de la naissance de sa fascination pour Orphée auquel il consacrera, telle une hantise, de nombreux opus dont un opéra des plus éloquents, intitulé The Mask of Orpheus, Twombly peignait, dans l’écho de l’œuvre de Pierre Henry, Veil Of Orpheus ? Un grande toile (229x448cm), faussement minimale car scandées par des inscriptions, des mesures et des chiffres sur un fond d’une couleur se rapprochant tel un hasard de l’étoffe de lin mais ne serait-ce pas non plus la couleur du sable qui renverrait au désert et par extension à une errance orphique ?
Ce quatuor écrit sur mesure pour L’Imaginaire résulte par conséquent de ses sources (l’humide) et de ces traces (le sec). Comme à mon habitude le titre de mes œuvres délivrent une formule numérique qui me permet de pouvoir tendre une forme et tellement davantage. Ici c’est encore le chiffre 7 qui l’emporte avec le nom d’Orpheus comme avec celui de Twombly sous-tendant déjà plusieurs opus antérieurs. La pièce mis à part un épilogue rajouté par nécessité, repose sur une structure composée de 7 parties déclinées par 28 (7x4) sous sections. L’écriture procède par une dynamique transversale qui allie le contrepoint à l’harmonie à travers une dimension quelque peu orphique des figurations par échos à la rhétorique musicale. Cette œuvre est une traversée de lignes à travers des voiles de présences et de tensions harmoniques dans lesquelles un chant tend des lignes de forces telles que des interrogations dans le mouvement d’une tentative d’enchantement à même le mouvement accentué de la perte et du déclin en écho aux axes délibérés de la précarité de l’avenir notre civilisation.
Cette partition est dédiée à Sir Harrison Birtwistle ainsi qu’à l’ensemble de L’Imaginaire, qui porte bien son nom. F.C Y.